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Raymond

« Raymond, Katya, Vincent et les autres (en exercice) »
par Astrid Bouygues et Erdna Sigolsed, octobre 2002.

in Voyages au centre de l'œuvre, Les Amis de Valentin Brû, n°26/27, p. 83-85.

Oui, on peut raconter une même histoire de bien des façons différentes, en écrivant bien sûr, mais aussi en parlant, en pleurant, en chantant ou même en dansant. Et même en dansant de façons différentes. De là une proposition chorégraphique. D’où s’écouleraient les mots sans les dire le long du corps du fond de l’âme.

Pour Katya Montaignac, « "Raymond", c’est Raymond Queneau, en hommage aux Exercices de style qui consistent à relater une même anecdote sous divers registres narratifs. C’est pourquoi j’ai cherché à écrire une chorégraphie extrêmement basique, aussi inintéressante que peut l’être la trame narrative des Exercices. Dans l’œuvre de Queneau, ce n’est plus l’histoire ni son contenu qui importe mais la façon de la raconter. Raymond suit un principe identique : une série d’individus interprète successivement, en solo, une même structure chorégraphique. L’intérêt est que chacun investisse le solo en fonction de sa personnalité et choisisse ses propres partis pris esthétiques ainsi que son environnement sonore. C’est pourquoi, outre une variation sur le même thème, Raymond présente une série de portraits ».

C’est ainsi que nous vîmes se succéder sur scène un certain nombre d’« individus », danseurs amateurs ou professionnels, tous venus raconter la même « histoire » chorégraphique selon leur propre rythme, leur propre émotion, leur propre sensualité. Chacun offrant courageusement au public rien de moins que sa personnalité. L’ouverture du spectacle fut faite ce soir-là par le Docteur Lydia Schenker, médecin psychiatre, qui avait choisi comme « environnement sonore » une cassette de entretiens de Jacques Lacan et Marcel Czermak sur France-Culture. Tour à tour s'exprimèrent Maud Legueult, professeur de danse contemporaine, Marianne Miel, « polyvalente et prêt à tout », Coralie Bougier, « Bretonne », Leslie Cottreel, dentiste, Alaa Szendy-El-Kurdi, assistante de recherche à l’ESSEC, Valentin Ferenczi, mathématicien, et bien d’autres, sur des musiques aussi variées que celles de Nat King Cole, Bela Bartok, Leonard Cohen, NTM ou Jean-Sébastien Bach… Chacun dressant son autoportrait en graçon manqué, sportive, rêveur, féline, ou danseur classique. Tous les âges sont représentés dans la troupe, du retraité Michel Potier à l'élève de CM1 Cyrine, qui aime se dépeindre en Zazie. Après la série de portraits, un final qui réunit sur scène tous les protagonistes pour une répétition simultanée de leur interprétation donne l’image d'une société cacophonique, où chacun cohabiterait tout en restant enfermé dans l’univers qui est le sien. Ce(s) dernier(s) « solo(s) » prend (ou prennent) une tournure apocalyptique.

Katya Montaignac avoue qu’elle voulait au départ réaliser son spectacle seulement avec des danseurs amateurs, pensant — à tort, selon nous — que la technique des professionnels serait un frein au dévoilement de leur personnalité. Est-ce à dire qu’un artiste accompli ne transcende pas la technique pour s’exprimer ? Que le travail du style est un frein à l’expression ? En tout cas, cette idée que le "métier" nuit à la fraîcheur de l’art est pour le coup bien peu quenienne. Et c’est encore un euphémisme que de dire que Queneau se souciait peu de dévoiler sa personnalité. Aussi bien tous les styles des Exercices sont-ils fourbis par le seul et même auteur, dont ils constituent une série de masques successifs. Mais l’hommage a ses limite et si Katya Montaignac, pour qui la spontanéité de l’expression semble une valeur, s’est bel et bien inspirée de Queneau, ses intentions n'étaient visiblement pas les mêmes que celles du futur fondateur de l'Oulipo. Or, si l’on considère le projet pour lui-même, on ne peut que saluer l’idée astucieuse, le caractère inventif et expérimental, la forte personnalité de cette jeune compagnie créée en 1995 par le chorégraphe Vincent Lahache, l’originalité du spectacle enfin, qui, de quelque manière que ce soit, surprend et force à une réflexion sur l’expression artistique.

La formule est modulable et le spectacle a une durée variable selon le nombre d’interprètes. C’est au théâtre Clavel, à Belleville, dans une petite salle d’une centaine de places, toutes occupées, que nous avons vu le spectacle de la compagnie La Gorgone. Depuis, elle l’a repris plus de quinze fois et le nombre d’interprètes a atteint trente personnes. Espérons qu’elle le reprenne encore souvent.

Astrid Bouygues et Erdna Sigolsed.
« Raymond, Katya, Vincent et les autres (en exercice) », in Voyages au centre de l’œuvre.
Nouvelle série, n°26/27, 4ème trimestre 2002, p. 83-85.
Éditions : Les Amis de Valentin Brû, octobre 2002.
ISSN : 1254-7824

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